Affiche année 2007 sponsorisée par l'hôtel le Colbert

2007 le colbert hotel affiche M

 

Hotel Colbert Avignon
France

Les affiches polonaises
ou l’Art de l’inattendu


1 – Contexte et politique culturelle en Pologne

Pour comprendre le phénomène des affiches polonaises, il faut se pencher sur la politique culturelle mise en place dès 1945. Le premier acte législatif du gouvernement polonais dans le domaine du cinéma après la libération fut la nationalisation de cette branche. En vertu du décret gouvernemental du 13 novembre 1945, toutes les questions relatives à la création, à la production et à la distribution des films étaient placées sous le contrôle de l’entreprise d’Etat Film Polski (le film polonais). Le décret stipulait que l’objectif majeur était l’utilisation du cinéma en tant que moyen d’éducation sociale et de propagation de l’enseignement et de la culture. Le rôle majeur de la culture s’explique sans doute par l’Histoire particulière de la Pologne. Il faut savoir que ce pays a été rayé de la carte pendant 123 ans, partagé par l’Allemagne, la Russie, l’Autriche-Hongrie et ne subsistant qu’au travers de sa culture, sa langue et sa religion. La Pologne en tant que pays ne fut recréée qu’en 1918, ce qui explique sans doute la volonté identitaire de défendre son patrimoine. Dès 1945, l’État se place donc à la tête de la cinématographie, il est le mécène de la création contemporaine polonaise et contrôle toutes les questions relatives au 7ème art au travers de l’Office Central du Cinéma (O.C.C.) que dirige un sous-secrétaire d’État au ministère de la Culture et des Arts.

L’activité de l’O.C.C est axée sur trois secteurs essentiels. En ce qui concerne la production, il exerce un contrôle du programme et des finances sur les Groupes Unis des Réalisateurs de Films et sur les ateliers cinématographiques. Pour ce qui est de la distribution, de l’importation et de l’exportation, il agit par l’intermédiaire de la Centrale de Location des Films et de l’Entreprise d’Importation et d’Exportation Film Polski. Enfin, il assure la base technique nécessaire à la production et à la diffusion des films, et il se charge du développement de la technique cinématographique.

C’est également de l’Office Central du Cinéma que relève l’ensemble des questions concernant la culture cinématographique, c’est-à-dire le patronage des clubs de discussion et des clubs amateurs, l’organisation de concours, de festivals, d’expositions et de conférences consacrés aux problèmes du cinéma. La production cinématographique est décentralisée et sa gestion est confiée aux groupements de réalisateurs.

L’interventionnisme du régime sur les questions du cinéma s’explique par une volonté idéologique et politique de s’approprier un médium populaire à large diffusion. Jacek Fuksiewicz, critique et réalisateur polonais écrivait en 1973 un ouvrage partisan sur le cinéma en Pologne.
« Notre politique dans le domaine du cinéma se propose essentiellement de satisfaire les besoins culturels de la population dans tous les domaines, de façonner ses besoins en orientant ses goûts vers des œuvres de grande valeur artistique, idéologique et morale. En ce qui concerne le répertoire notre politique tend à projeter les œuvres de la cinématographie mondiale les plus remarquables du point de vue artistique et qui présentent les plus hautes valeurs sur le plan social » [1]

Affiches Polonaises

Les critères sélectifs de l’Office Central du Cinéma rendaient difficiles une grande liberté en matière de programmation. En 1970, sur les 200 films projetés, la moitié provient des pays socialistes. Cet aspect s’explique certes par une volonté idéologique mais aussi par les problèmes financiers liés à la devise polonaise (zloty) qui n’avait pas une grande valeur en dehors de ses frontières. L’entreprise d’État n’avait accès principalement qu’à des films du bloc soviétique. Selon un relevé en date du 3 novembre 1970, on dénombrait en Pologne 3232 cinémas dont 508 itinérants. Les salles urbaines disposaient alors de 462 200 places et les cinémas ruraux de 162 700 ce qui correspond à 19 places pour 1000 habitants. En 1970, le Polonais est allé en moyenne quatre fois au cinéma.

Dans les années 1970, la situation s’améliora et la programmation put s’élargir. Chaque année, un festival de cinéma « Konfrontacje » (les confrontations) permettait d’ouvrir les frontières et de proposer au public un regard sur la production mondiale. Cet événement était très attendu par le public et certains prenaient leurs congés à cette période pour assister à toutes les projections. Concernant les revues spécialisées sur le cinéma, la Pologne dénombrait une dizaine de périodiques dont Kino, Ekran, Film. L’Institut Jean-Vigo possède une centaine de revues polonaises sur le cinéma. Fait intéressant, ce sont les membres du groupement des réalisateurs (Wajda, Zanussi…) qui font partie du comité rédactionnel pour la revue Kino.

2 – L’école polonaise

Les années 1950 et 1960 marquent l’âge d’or de l’affiche polonaise. Les deux principales structures chargées de la communication et la diffusion des films étaient Film Polski et Centrala Wynajmu Filmów (centrale de location des films). Elles n’employaient pas des designers graphiques mais des artistes. C’est la période où se développe « l’école polonaise », courant porté par les Beaux-Arts de Varsovie où les plus grands affichistes tels que Jan Lenica, Jakub Erol, Romuald Socha, Jerzy Flisak ou Franciszek Starowieyski ont fait leurs classes.

Le rejet des valeurs commerciales occidentales du régime polonais permit aux artistes de s’exprimer au travers de l’affiche qui perdit sa fonction originelle de support de communication publicitaire. Il faut croire que les pressions économiques sont souvent plus exigeantes que celles des politiques notamment en matière de création artistique. Tout était nationalisé, la concurrence et la publicité n’existait pas. Dans la revue KINO, on retrouve souvent en deuxième et troisième de couverture, des reproductions d’affiche en guise de support de communication pour les films.

L’affiche était une des rares forme d’expression artistique toléré par l’Etat. L’entreprise d’Etat Film Polski privilégiait les artistes (principalement issus de l’école des Beaux-Arts de Varsovie) pour créer de véritables œuvres originales inspirées plus par l’esprit du film que par son contenu narratif. Dès 1950, un mouvement particulier à la Pologne se développa et de nombreux artistes apposèrent leurs signatures sur des affiches de théâtre, de cinéma, d’opéra, de musique et de cirque.

Si la programmation était contrôlée, le visuel des affiches pouvait être totalement libre et devait s’affranchir des codes préexistants. Cette dimension particulière s’explique aussi par le peu de diffusion (les affiches dépassaient rarement les 10000 exemplaires). En effet, elles étaient rarement affichées dans les rues, elles restaient dans le cadre du cinéma et n’avaient donc aucune fonction publicitaire. Les valeurs pratiques, informatives n’avaient pas de réelle importance, l’esthétisme primait sur le reste. Pour chaque film étranger, une affiche était crée car les affiches originales étaient tout simplement interdites. Les œuvres étaient généralement abstraites, métaphoriques et les artistes se servaient de l’allusion pour parler de la situation en Pologne car les censeurs n’arrivaient généralement pas à lire entre les lignes. Cet aspect concerne tout l’art polonais de cette époque, derrière des toiles, des films ou des affiches il y avait souvent un deuxième sens caché. Quant on regarde les œuvres de certains affichistes, il est parfois difficile de les interpréter.

Les polonais ont ainsi développé un langage particulier au travers de l’affiche et de l’art graphique. Le mouvement Solidarność mit fin à la nationalisation notamment de l’industrie cinématographique en 1989. A partir de cette période, la production d’affiches polonaises déclina au profit des visuels standardisés et uniformisés des grandes maisons de production. A l’heure actuelle, un petit marché de l’affiche polonaise a émergé et des galeries spécialisées autour de l’affiche de cinéma ont fait leur apparition à Cracovie et Varsovie. Le caractère original et la faible circulation des affiches en font de véritables œuvres recherchées qu’il convient de protéger et de valoriser.

3 – L’affiche polonaise de cinéma en 1977

« Notre système est effectivement différent, mais il est de plus en plus adopté par les autres pays. En France, le cinéma fait partie du show business. C’est une industrie orientée vers le profit. Chez nous, le profit importe peu ; le cinéma est avant tout un moyen d’expression artistique. Les metteurs en scène sont à la tête des groupes de production autonomes. Ainsi, les décisions appartiennent aux artistes ».

C’est en ces termes que le réalisateur Krzystof Zanussi décrivait l’industrie cinématographique polonaise lors d’une interview accordée au quotidien le Monde le 7 novembre 1977. L’année 1977 correspond à la sortie du film Barwy ochronne (Camouflage) qui fit couler beaucoup d’encre. Le film est l’une des représentations les plus lucides de la société socialiste et une analyse critique fine de la corruption et de l’érosion des valeurs éthiques dans les années 1970. « Camouflage » a connu un succès remarquable auprès du public et a reçu des appréciations enthousiastes des critiques de cinéma qui ont su garder leur indépendance d’opinion, mais il a été violemment attaqué par les représentants de la ligne officielle.

affiche Camouflage Starowieyskiaffiche course à l'échalote

L’affiche réalisée par Starowieyski est tout aussi surprenante et scandaleuse. Représenter des matières fécales au premier plan d’une affiche de cinéma est audacieux même si la licence poétique appartient à l’artiste. L’interprétation est complexe, cette représentation sort justement du cadre du camouflage et offre un regard brut, terrestre sur la production humaine. Assouvir ses besoins viscérotoniques est après tout un acte quotidien qui ne dépend pas d’une appartenance à une classe socioculturelle. Le mensonge ou la tromperie n’a pas sa place dans cette intimité exposée au regard de tous. La traduction littérale du film est « couleur de merde » ce qui correspond assez bien au visuel de l’affiche. Dans un des plans du film, le jeune assistant marche dans des matières fécales et c’est le déclencheur de son animalité qui le conduira à tenter de tuer le professeur. Starowieyski résume dans son affiche tout le propos du film. L’arrière-plan est un paysage campagnard, scène où se situe l’action du film de Zanussi. Seuls des lettres et des chiffres viennent encadrer l’affiche pour rappeler le milieu universitaire. Le public est déboussolé et c’est d’ailleurs ce qu’exploite l’artiste en modifiant le sens des points cardinaux. L’exemple de Starowieyski illustre le caractère original et novateur de la production polonaise.

La cinémathèque dispose d’un grand choix d’affiches qui permet d’offrir un regard sur les sorties de films en 1977. Nous pouvons recréer le décor des cinémas polonais de cette époque et appréhender ce que le public pouvait voir à l’entrée des salles obscures. Des ressorties de films polonais illustrés par Erol côtoient les productions nouvelles telles que « La danse de l’épervier » de Królikiewicz ou « L’affaire Gorgon » de Majewski. La programmation s’ouvre sur la production européenne et américaine bien qu’il y ait un décalage dans les sorties. En définitive, l’école polonaise a proposé un nouveau souffle dans la création standardisé de l’affiche de cinéma. Le manque de publication et d’exposition sur cet art et quelque peu dommage compte tenu de l’inventivité des affichistes et du regard particulier qu’ils portent sur notre production cinématographique.

[1] in Le cinéma en Pologne, éditions Interpress, Varsovie, 1973

Remerciements à Laurent Ballester, Michel Cadé, Charlotte Guitton et Maria Zimmermann.

 par Andréas Alberti
(Licencié en Histoire de l’art et Histoire, Master 2 Gestion des Patrimoines, Université de Bretagne Occidentale)

Bibliographie

Il existe très peu de publications sur l’affiche polonaise de cinéma. Les quelques ouvrages sont édités directement par les galeries d’affiches en Pologne et donc difficilement accessibles. J’ai concentré mes recherches sur des ouvrages généraux concernant l’Histoire du cinéma en Pologne et sur des sites internet spécialisés.

Article :
• AUSTONI (A.), The Legacy of Polish poster design in Smashing magazine, Janvier 2010

Catalogues :
• Documentary and Educational Films, Film Polski, Varsovie, 1970
• Polish Documentary and Educational films, Film Polski, Varsovie, 1971
• Polish Animated Films, Film Polski, Varsovie, 1970

Ouvrages généraux :
• BANASZKIEWICZ (W.), La cinématographie polonaise, éditions polonia, Varsovie, 1962
• FUKSIEWICZ (J.), Le cinéma polonais, coll. 7ème Art, les édtions du cerf, Paris, 1989
• FUKSIEWICZ (J.), Le cinéma en Pologne, éditions Interpress, Varsovie, 1973
• MICHALEK (B.) Dir., Le cinéma polonais, coll. cinéma/pluriel, Centre Georges Pompidou, Paris, 1992

Ouvrage spécialisé :
• DYDO (A.), PL21, The Polish Poster of the 21st Century, Krakow Poster Gallery, Cracovie, 2008

Revues :
• KINO, Miesiecznik poswiecony tworczosci I kulturze filmowej, n°133, 134, 144 (janvier, mars et décembre 1977, Varsovie, 1977
• LES CAHIERS DU CINEMA, article de Jean Paul Fargier sur Camouflage, n°284 (janvier 1978)